Les centres de retraite sont des lieux paisibles, souvent entourés de végétation où l’on passe dix jours, en silence, n’ayant pour but que la méditation à travers laquelle nous guide la voix de celui qui a fait connaître cette technique de méditation en occident : Goenka Jee. Les seuls moments où l’on a le droit de parler sont l’arrivée, le départ et les brefs espaces de discussions méditant-formateur dédiés au seul rappel de la pratique.

Pendant dix jours, nous nous levons à quatre heures du matin et nous couchons à vingt-et-une heure, après avoir médité le plus clair du temps. C’est une technique nouvelle pour moi. J’apprends à observer les processus qui s’opèrent à mon insu dans mon corps, et à observer comment les facteurs extérieurs génèrent, à mon insu, des bouleversements biologiques qui altèrent mon état d’esprit. C’est passionnant ! Pour le vipassana, la clé de la paix intérieure se trouverait donc au niveau du corps. C’est lui qui influencerait ensuite l’esprit… Au cours de la journée, j’observe ces phénomènes intérieurs d’impatience ou de douleur, eut égard à la position du lotus, sans plus y répondre. J’apprends à les observer sans plus émettre aucun jugement – de plaisir ou de rejet – à leur égard, à rester “équanime“, c’est-à-dire égal à moi-même et pleinement conscient à chaque instant.

Lorsqu’on me demande de méditer pendant une heure sans bouger, des douleurs apparaissent immédiatement dans mon corps. Impatience dans les jambes, douleurs dorsales… J’apprends que ces douleurs sont des mémoires, appelées « sanskars », qui remontent à la surface. Elles sont provoquées par mon esprit agité qui ne veut pas que je regagne le contrôle sur lui. Il sait que je m’apprête à nettoyer ces mémoires : des réactions réflexes, des automatismes qui me parasitent. Les sanskars émergent donc sous forme de douleurs. Je vais passer dix jours à les observer en gardant à l’esprit le terme « annicca », qui décrit toute chose comme impermanente. Tout, les atomes comme les situations, apparaît et disparaît sans arrêt. Tout n’est qu’un choix : réagir ou non, se focaliser sur l’occurence ou la vacuité ?

Au cours d’une méditation, une douleur intense s’est déclenchée dans ma hanche droite. Elle irradie et semble affecter tout mon flanc. Je n’y réagis pas. J’ai fait le vœu de cesser d’être la marionnette des ressentis et observe le phénomène en respirant aussi calmement que possible. Et plus j’observe, plus je constate que la douleur n’est présente que sur un point de mon corps qui n’est pas plus grand qu’une tête d’épingle. Mon esprit a voulu faire un drame de quelque chose dont il ne voulait pas, la position assise et l’immobilité, en faisant paraître la douleur énorme et intolérable, mais la vérité est toute autre : la source de la douleur est infiniment petite et disparaît dès que j’ai percé à jour le jeu de mon esprit. Anicca.

C’est ainsi qu’à force d’observation neutre, je nettoie mon habitude de réagir de manière immédiate et incontrôlée aux stimuli tant intérieurs qu’extérieurs. Je cesse de croire en l’illusion de la douleur créée par l’esprit. Une fois la douleur partie il reste une paix délicieuse, jusqu’à la prochaine occurrence. Je comprends que l’équanimité était un chemin vers la paix.

Je fais d’autres découvertes intéressantes. Pendant deux jours, j’ai des bulles dans les intestins qui semblent se former et exploser en moi, un peu comme si j’avais la diarrhée. Goenka dit que ce sont des sanskars de jalousie ou d’ego qui font surface. Je les observe, jusqu’au jour où je ressens un craquement au niveau du torse, au sens propre. Les bulles cessent alors de se former. Soulagé, je prends une grande inspiration et remarque que ma capacité pulmonaire semble avoir augmenté de vingt-cinq pour cent. Est-ce que mes émotions ou mes schémas de pensée m’avaient empêché d’être suffisamment relâché pour bénéficier de tout cet oxygène qui afflue maintenant, libre comme un courant d’air ?

Pendant ces dix jours, un homme est assis derrière moi sur une chaise avec trois coussins sous chaque bras, deux dans le dos, un sous les fesses et un petit tabouret pour poser ses pieds. Le pauvre tente par tous les moyens d’être assis confortablement pour éviter les douleurs qui sont, comme vous l’aurez compris, inévitables et même, dans une certaine mesure, bénéfiques pour qui a compris le but de cette méditation. Toujours est-il que cet homme fait craquer les os de ses doigts et des pieds toutes les vingt ou trente secondes et ça me fait l’effet d’une craie crissant sur un tableau. Quoi ! Non seulement je dois travailler sur moi et, en plus, trouver la force de supporter les autres ? À chaque fois qu’il fait craquer ses doigts, la fureur monte en moi, l’envie de me lever et de lui crier dessus ou de lui envoyer mon poing dans la figure. On a beau avoir fait tous les progrès et les réalisations spirituelles que l’on veut, le vipassana met à jour ce à quoi l’on se refuse de faire face et qui reste souvent plongé dans la nuit de l’inconscient, surgissant dans notre vie et nous faisant faire des choses irraisonnées.

Au cours d’une pause, j’en parle à un professeur assistant. Après lui avoir décrit la colère que j’éprouve au moindre craquement d’os de mon voisin, celui-ci me raconte à son tour qu’au cours d’une retraite en Inde, il avait été confronté au même type de défi. Dans son cas, c’était une Indienne dont les dizaines de bracelets s’entrechoquaient au moindre mouvement. Les professeurs assistants lui avaient alors dit que son problème n’avait rien à voir avec les bracelets de cette femme, mais que cette réaction – qui était déjà en lui – devait justement être nettoyée. Il s’agit pour cela de ne pas réagir au stimulus qui déclenche notre agacement. Cela crée, de fait, une nouvelle habitude. Je le remercie pour sa réponse et retourne dans la salle commune pour méditer.

Il semble bien vain d’espérer que les craquements cessent, mais je prends désormais responsabilité pour ce que je ressens. J’ai plus important à faire que de prêter attention à ce qui se passe autour et je ne blâmerai plus mon voisin pour quelque chose dont il est, lui-même, victime. Lorsque le gong sonne et que les autres méditants reviennent à leur place, je suis concentré sur ma pratique et n’entends plus ses os craquer. En fait, je n’y prêterai plus attention jusqu’à la fin de la retraite. Il ne s’est certainement pas arrêté, mais j’ai nettoyé la contrariété qu’ils engendraient.