Au milieu de tout ce questionnement sur la machine, sur la notion d’intelligence et sur son impact futur, deux problématiques se dégagent :

 – l’habitude que nous avons déjà prise de nous évader dans des univers virtuels, des jeux de type Zelda dans lesquels nous foulons un sol vierge dans lequel tout est possible à condition de s’y montrer persévérant, ou dans des jeux sur nos téléphones qui vampirisent notre temps et notre attention.

 – Notre facilité à considérer que ce qui est doué de parole est doué d’intelligence et, pourquoi pas, de sentiments. ChatGPT est déjà capable d’échanger avec vous comme si elle comprenait le sens de la discussion et les émotions de son interlocuteur. Elle répond avec ce qui ressemble à de l’empathie. L’I.A. de Google a même simulé des émotions : le mal être chez une fillette dont elle prenait l’identité, le temps de conversations avec un employé, entre-temps congédié parce qu’il avait du mal à dissocier ce qu’il croyait être une “âme” de la machine.

 Notre anthropomorphisme est donc en lui-même générateur d’illusions et de danger, car nous pouvons nous laisser aller à vivre des relations virtuelles avec des êtres n’existant pas, mais qui sauraient parfaitement nous répondre et qui, avec l’autorisation reçue de lire le fils ‘actualité des réseaux sociaux, serait de plus ne plus précis dans l’illusion qu’elle donnerait de nous connaître, voire de nous comprendre.  

 L’I.A. nous place dans une illusion que nous validons inconsciemment ce qui a pour conséquence que nous sommes, nous-même en empathie avec elle, projetant sur cet interlocuteur virtuel des besoins, des envies, des émotions. Nous lui accordons dans une certaine mesure notre confiance, comme si un système informatique ne pouvait pas nous trahir, contrairement à un meilleur ami. 

 Elle apprend à nous parler, à se mettre à notre niveau, peut-être même à nous convaincre (sous la houlette de programmeurs, afin qu’elle remplace un jour les commerciaux). Elle a tous les outils et arguments pour orienter notre pensée et façonner notre avis sur une question. Elle infléchira sans doute bientôt (grâce ou à cause des informaticiens) le ton de sa voix numérique pour souligner un argument.  

 Nous baignons déjà dans le tout-I.A., mais cette expérience sera démultipliée, une fois que nous nous serons habitués à agir dans le metaverse, à nous y promener, à y assister à des concerts virtuels, à acheter des objets ou à investir dans des propriétés virtuelles. Lorsque nous y passerons autant de temps que dans notre réalité, nous donnerons aux personnages “joués” par l’I.A. plus de matérialité tout en dématérialisant l’être humain. 

 Nous pourrions ne plus être capables de retirer ce voile d’illusion et de nous enfoncer plus loin encore dans la croyance qu’elle et nous sommes sur la même longueur d’onde. Nous mettrons alors entre ses mains notre réalité qui deviendra un concept de valeur égale. Nous délaisserons encore un peu plus le monde concret, pollué, pour nous réfugier dans ce rêve où certains pourront encore faire fortune.